Marie Guérin, documentariste et artiste sonore, et Anne Kropotkine, documentariste sonore et chercheuse en histoire, ont mené entre Berlin et Monastir, une enquête sur les traces de Sadok B., poète tunisien, à partir de sa voix enregistrée en 1916 dans un camp de prisonniers en Allemagne, pendant la Première Guerre mondiale. Cette création circule sur les ondes radio et sous forme de récits qui croisent recherche, son et performance.
Un récit sonore et musical
Un road trip radiophonique
Cette création est le récit d’une enquête entre l’Europe et l’Afrique, à partir d’une archive sonore centenaire : le chant de Sadok, poète populaire tunisien, enregistré dans un camp de prisonniers en Allemagne, pendant la Première Guerre mondiale.
L’enquête commence le 13 février 2018, à Berlin. Marie et Anne découvrent dans le fonds d’archives sonores (Lautarchiv) de l’université Humboldt, l’archive de Sadok, parmi 1651 disques.
Le 30 et le 31 mai 1916, dans le camp du Croissant de Zossen-Wünsdorf,
Sadok parle et chante dans sa langue natale devant un gramophone,
entouré de linguistes de la Commission phonographique royale prussienne.
Il improvise et chante sa propre histoire, son récit de guerre.
Ses paroles sont fixées sur un disque en gomme-laque.
Entre deux montagnes, j’ai été blessé
Seul j’ai saigné. J’ai pleuré. J’ai hurlé.
Les Allemands m’ont récupéré
Sous leurs verrous, ils m’ont enfermé
Moi qui croyait enfin rentrer chez moi
En Belgique on m’a fait souffrir
Et j’ai cru que j’allais mourir
Extrait des paroles de « Chants de guerre » de Sadok Ben Rachid, PK 257, 30 mai 1916
Traduction de Refka Payssan
Marie et Anne partent sur la piste de Sadok, munies de l’archive en version mp3, d’un enregistreur, de deux micros, d’un mini-haut-parleur et de quelques indices sur Sadok (cf. sa fiche d’identité / personal-bogen).
Elles partent à sa recherche avec l’idée de rapatrier la voix de Sadok en Tunisie, et si possible, d’offrir à ses descendants, ses paroles inédites.
Au cours de leur road-trip, on suit la circulation et le rapatriement en Tunisie du chant de Sadok, un des premiers enregistrements de musique populaire tunisienne – jamais entendu au pays – de Zossen-Wünsdorf (ancien camp de prisonniers devenu aujourd’hui un camp de réfugiés) à Monastir (la ville natale de Sadok) en passant par la Méditerranée (traversée Marseille-Tunis).
Sur la route depuis février 2018, Marie et Anne font écouter la chanson de Sadok. Elles enregistrent leurs rencontres, leur recherche, la musique, leurs mouvements.
On entend la voix de Sadok, la chanson d’Ali et Tony dans un cimetière militaire, un titre d’Alphaville qui tourne dans un bar aux confins de l’ex-RDA, une traversée de la Méditerranée un soir de match de coupe du monde, le rap d’Alif, un historien, une célébration à la Résidence de France en l’honneur des tirailleurs tunisiens, une star de la chanson tunisienne, un poète qui éleva sa voix sous le régime Bourguiba, l’hymne tunisien, un des plus grand collecteur de musique populaire tunisienne, Radio Monastir, une chorale improvisée au coeur de le médina, de la viole d’amour,
de la bombarde, les chants d’une confrérie féminine, Mme Zhora, Bdira…
Marie et Anne se sont embarquées dans cette enquête, chacune porteuse d’un angle de recherche, pour Marie, la chanson, l’histoire de l’enregistrement, la matérialité de la trace sonore, pour Anne, l’histoire, la guerre, le mouvement des hommes.
Sur la piste de Sadok B. est une histoire pleine d’histoire-s.
Ce récit sonore a une très forte potentialité narrative. Il a un dénouement inattendu. Le réel dépasse la fiction.
Marie et Anne n’ont jamais eu, entre les mains, un matériau si riche, qui parle presque de lui-même et qui remue autant.
La voix de Sadok est de retour au pays natal
Le documentaire radiophonique Chanteuses retrace cette enquête au long cours. Coproduit par Micro-sillons et la RTBF, il fut diffusé en deux épisodes (deux heures), les 8 et 15 mars 2021 sur la RTBF puis les 10 et 17 avril sur la RTS.
Cette création est introduite par le récit sonore Recorded songs don’t ever die de Marie, réalisé en collaboration avec Anne. Cette performance est en tournée en Allemagne et en France depuis l’automne 2018. Elle est également diffusée dans sa version radiophonique – „Auf der Spur von Sadok B. – Zossen-Wünsdorf“ – sur la Deutschlandfunk Kultur le 1er novembre 2019.
À partir de ce riche matériau sonore, Marie et Anne travaillent donc aussi à la création de performances*, entre théâtre documentaire, théâtre musical et radio-concert, en collaboration avec : Maël Teillant – directeur technique et ingénieur , Jana Klein – comédienne, Céline Le Corre – chargée de production, Anne Becker – administratrice de production, ou encore le musicien Jasser Haj Youssef.
Marie a par ailleurs obtenu l’« aide à l’écriture d’œuvre musicale originale 2020 » pour la réalisation d’une bande-son électroacoustique pour support seul « Sur la piste de Sadok B. ».
La constitution du « corpus Sadok »
Au fur et à mesure de leur enquête, Marie et Anne rassemblent un vaste corpus documentaire : recherches, archives, rushs sonores, cassettes, fichiers divers, créations radiophoniques, photos, vidéos, etc.
Sur un site internet en cours de fabrication et réalisé par Emmanuelle Le Pogam, elles tentent de mettre en valeur ce corpus.
Anne déroule le fil de l’enquête sonore dans un article publié en septembre 2019 dans la revue Entre-Temps (relayé dans un article du Monde) et dans un livre à venir aux éditions Goater, La Chanson de Sadok.
Marie et Anne ont écrit à quatre mains un article « PLAY BACK Carnet moderne de chants » dans la revue Lili, la rozell et le marimba, revue n°2 (La Criée centre d’art contemporain – Rennes) : dans celui-ci, elles constituent un carnet de collectage, un recueil de chants qui ont surgi au fur et à mesure de leur enquête, en écho au chant de Sadok.
Article « Le chant de Sadok, poète tunisien, ressuscité des tranchées », Victoria Knowles, Unidivers, 15 avril 2021.
Générique
Porteurs du projet :
Micro-sillons – collectif de création sonore (Rennes), producteur
Auteures :
Marie Guérin et Anne Kropotkine
Production et diffusion radiophonique :
Césaré CNCM – Centre national de création musicale (Reims), co-producteur
la Soufflerie – Rezé, co-producteur
l’Europäisches Zentrum der Künste (Hellerau), co-producteur
RTBF co-producteur, RTS, Deutschlandfunk Kultur, Radio Monastir
Avec le soutien et la coopération de :
l’Ambassade de France à Berlin
la Mission du Centenaire
l’Institut Français d’Allemagne
l’Institut français à Paris / Ville de Rennes – Rennes Métropole
l’Institut français de Tunis
le programme radio francophone Gulliver (Belgique, Suisse)
Lautarchiv – Université Humboldt (Berlin)
Dar Eyquem (Hammamet)
le Studio für Elektroakustiche Musik – Akademie der Künste – ADK (Berlin)
l’Haus der Kulturen der Welt – HKW (Berlin)
la Grande Boutique – centre de création des musiques populaires en Bretagne intérieure (Langonnet)
la Maison du Théâtre (Brest)
le Manège – scène nationale (Reims)
les Deux Scènes – scène nationale (Besançon)
le Mémorial de Verdun
la Bulac (Paris)
Radio France
l’Association de sauvegarde de la ville de Monastir
la Criée – centre d’art contemporain (Rennes).
l’Institut du monde arabe – IMA (Paris)
les éditions Goater (Rennes)
Radio Primitive (Reims)
KUB
Dastum
l’INED (Paris
The Roof Rennes Hôtel Dieu (Rennes)
la revue numérique Entre-Temps
Merci à toutes les personnes rencontrées sur ce chemin.
Merci à : feu Abdelwaheb, Hassine et Jasser Haj Youssef, Olfa Chateur et leur famille ; Mona Guichard, Shiran Ben Abderrazak, Britta Lange, Skander Besbes, Aline Pénitot, Lotfi Bouchnak, Habib Zannad, Pascale Tison, feu David Collin, Camille Dupon-Lahitte, Gérald Wang, Céline Le Corre, Adel Gannouchi, Alain Blum, Justine Curatolo, Maël Teillant, Christine Van Geen, Claire Gillie, Anne Becker, Julien Meffre, Eric Deroo, Herdis Kley, Marie Lürs, Karsten Lichau, Philippe Le Goff, Michel Meunier, Fahima Zaïdi, Sophie Brunet, Gregorio García Karman ADK, Thomas Poli, Radio Monastir, Marcus Gammel, Jana Klein, Benoît Hattet, Norbert Vallée, Bechir Brigui, Nabil Kallala, Mondher Kallala, Mohamed Salah Laatil, Salem Labbène, Joseph Zimet, Raphaël Simon, Pierre-Emmanuel Gillet, Guillaume Bailleux de Marisy, Pascal Leduc, Anas Ghrab, Patrick Boucheron, Adrien Genoudet, Benjamin Kurc, Refka Payssan, Makram Lansari, Sophie Kaplan, Thomas Wieder, Amir Reffada, Nasser Letaief, Anouche Kunth, Bertrand Dupont, Alia Sellami, Erik Marchand, Mohamed Riadh Ben Rejeb, Jean-Yves Le Naour, Perrine Lagrue, Mariem Guellouz, Ifig Troadec, Benjamin Kurc, KUB, Radio Primitive, Morgan Large RKB, Anne Gueudré, Mohamed Bergaoui, Julia Tieke, Dastum, ArMen, Nathalie Singer, Anne Zeitz, Marie Descourtieux, Christophe Rosenberg, Paul Fournier, Dorothée Engel, Gilles Davidas, Rym Heni, Daniel Palmieri, Jean-Marie Goater, Farah Slimane, Tarek Louati, Thibaut Markocic, Nina Kropotkine-Watson, Nicolas Touzalin, Wael Ghoula, Adrienne Cadiot, Emmanuelle Le Pogam, Samira Farhat, Vincent Fromont, Julie Jentet, Ariane Zevaco, Gwendal Ollivier, Ayoub Sriha, Myriam Saduis, Pascal Moreul, Fabrice Denys, Juliette Denis, Gigi, Ali, Tony, Alif, Mme Zhora, Medhi, Moez, Toufik, Nour, Mohamed, Laurent, Amal, Najib, Ahmed, Yasmine, Lina, Jasser, Noa, Nora, Joseph.
Crédits photo : Traversée Marseille-Tunis (Marie Guérin) ; Hassine et Marie devant la Rachidia (Anne Kropotkine); Hassine Haj Youssef et Olfa Chateur dans un studio de la Radio Monastir (Marie Guérin) ; disque PK 257 (Lautarchiv), Personal-bogen/ fiche d’identité PK 257 (Lautarchiv) ; vue de la mosquée et du camp du croissant – Zossen-Wünsdorf 1915 (Museum Europäischer Kulturen/Otto Stiehl) ; Hassine et Marie devant la Rachidia gros plan (Anne Kropotkine) ; chorale patrimoniale de Monastir (Anne Kropotkine) ; Lotfi Bouchnak dans sa maison-studio (Anne Kropotkine) ; Anne et Marie en résidence à la Grande Boutique (Eric Legret) ; Mohamed Habib Zannad, Hassine Haj Youssef, Anne et Marie à l’Association de sauvegarde de la ville de Monastir (Ayoub Sriha).